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État modifié de conscience, hypnose & neurosciences, par Thierry Gallopin



L'hypnose est un état modifié de conscience qui permet de suggérer des changements profonds à la partie plus inconsciente de l'esprit. Aujourd'hui de plus en plus reconnue dans le monde scientifique, l'hypnose est certainement une discipline et une pratique en plein essor. Pour en parler, nous avons rencontré Thierry Gallopin, expert sur le sujet.


Thierry Gallopin (https://www.linkedin.com/in/thierry-gallopin-813a1416/) est Docteur en Neurosciences depuis 2002, il a beaucoup travaillé sur les mécanismes cérébraux impliqués dans l'alternance des états de sommeil et d'éveil, donc sur les mécanismes de régulation du sommeil. Il est également enseignant en Neurophysiologie à l'ESPCI, psychopraticien en hypnose et maître praticien en PNL, formateur en auto hypnose et gestion du stress, et co-auteur/enseignant de la formation Neuroscience de l'accompagnement à l'ARCHE.



Peux-tu expliquer ce qu'est un état modifié de conscience ?


C'est une question très complexe. Très largement, c'est d'abord un état mental différent d'un état de conscience "ordinaire". Historiquement, c'est à Arnold Ludwig (en 1966) que l'on doit cette notion d'"état modifié de conscience".


Je peux donner une définition scientifique, plus précise : "c'est un état mental induit par différentes procédures ou agents d'ordre psychologiques, physiologiques ou pharmacologiques, qui peut être reconnu subjectivement par l'individu lui-même (ou par un observateur objectif de l'individu) comme représentant une déviation suffisante de l'expérience subjective ou du fonctionnement psychologique". (Ludwig, 1966)


Pour le dire beaucoup plus simplement, c'est tout ce qui représente un état non ordinaire, tel qu'une rêverie, une somnolence, le sommeil... Cet état se produit spontanément le plus souvent, mais il y a aussi des états modifiés de conscience qu'on atteint lorsque l'on transforme sa physiologie : quand on jeûne, quand on a très chaud, quand on fait du sport intensif (libération d'endorphines) quand on a un orgasme etc. Ou induit part une autre personne comme en hypnose.


Il existent des déclencheurs pour atteindre cet état, ou des pratiques comme l'auto hypnose, la méditation, les privations sensorielles... On pense aussi à certaines drogues (cf. les expériences chamaniques)...


C'est donc à la fois très large, et très complexe dès lors qu'on entre dans les définitions des neurosciences cognitives. Notamment parce que les frontières entre les différents états sont assez floues. En fait, on oscille toute la journée de façon très naturelle entre différents états modifiés de conscience. Et ces oscillations sont liées à notre comportement et à notre processus cognitif appliqué à l'instant T.


Par exemple, si tu enfiles des perles sur un fil de façon très concentrée, tu n'as pas le même état de conscience que si tu écoute simplement de la musique, ou que si tu regardes une série Netflix !



La méditation est très à la mode, mais l'hypnose reste entourée de mystère... quelle est la différence entre la méditation et l’hypnose, notamment en termes d’état modifié de conscience ?


On peut le voir de deux manières différentes : d'un point de vue "phénoménologique" subjectif (c'est-à-dire du point de vue de ce que la personne a l'impression de vivre comme expérience), et d'un point de vue très neuroscientifique en observant ce qui se passe dans le cerveau.


D'un point de vue phénoménologique d'abord.


Il y a une théorie qui s'appelle la HOT (High Order Thought) Theory (Rosenthal et coll., 2008) - très impliquée dans la méditation - qui est le fait d'être conscient de nos états mentaux grâce à des pensées sur ces états mentaux. Une pensée sur un état mental c'est une pensée qu'on va appeler de second ordre : je réponds à cette interview... mais je suis aussi conscient que je suis en train d'y répondre... et je suis aussi conscient que je suis conscient que je te suis en train d'y répondre.... Ce principe est très développé dans la méditation, c'est d'ailleurs pour cela qu'on parle de "pleine conscience" car c'est la conscience elle-même qui s'observe à l'oeuvre. C'est un peu comme "se voir au dessus".


Alors qu'une des explications pour comprendre l'état d'hypnose est tout à fait inverse : c'est la théorie du contrôle à froid (Dienes & Perner, 2007). L'état hypnotique est une réponse qui intervient suite à une suggestion hypnotique, élaboré à partir d'une intention non réellement consciente. Quand on est dans un état hypnotique, on a beaucoup moins de capacité à développer des pensées de deuxième ordre, troisième ordre comme en méditation... On est beaucoup moins dans le jugement de ce qui est en train de se produire, on est beaucoup moins dans ce qu'on appelle l'"agentivité". En état d'hypnose, tu peux te créer des faux souvenirs, émettre des mouvements spontanés, avoir des sensations hallucinatoires... Il n'y a pas de pleine conscience en hypnose, on ne s'observe pas "du dessus" mais c'est plutôt comme si on plongeait "à l'intérieur de soi" pour aller interroger l'inconscient ou lui suggérer des changements. Et puis, en hypnose, on part toujours d'un problème de comportement à résoudre à résoudre qui peut être d’ordre cognitif, émotionnel ou comportemental, puis on peut travailler sur les mécanismes attentionnels, développer la motivation, travailler des ancrages, des conditionnements... Comme "tu vas faire ce geste à chaque fois que tu parleras en public et à chaque fois que tu parleras en public tu vas te sentir comme un tigre..."...


D'ailleurs, des personnes qui ont un haut niveau de méditation sont plus faiblement hypnotisables. Tout le monde est hypnotisable, mais certaines personnes sont hautement hypnotisables.


D'un point de vue cérébral ensuite.


Niveau activité cérébrale, les deux pratiques sont très similaires ! On assiste à un état altéré de conscience dans les deux cas, on travaille beaucoup sur le cortex pré-frontal dans les deux cas, sur les mécanismes inhibiteurs, on réceptionne beaucoup les choses, on absorbe...


Il est cependant difficile d’identifier un état stable d’état hypnotique. Nous devrions plutôt parler d’une dynamique d’états hypnotiques qui peuvent varier en fonction de l’expérience (Landry et coll., 2017). Par exemple, dans certains type d’induction hypnotique, , où on entre dans un état moins "critique", et où il semblerait qu'il y ait une sorte de déconnexion entre le cortex pré-frontal (qui est impliqué dans les mécanismes de jugement) et tous les systèmes "de saillance" (soit ce qui nous permet d'identifier de ce qui est important / de ne l'est pas - ce qui est pertinent / de ce qui ne l'est pas)...


Quoi qu'il en soit, les deux pratique sont complémentaires selon moi : la méditation permet de prendre du recul sur les choses, prendre de la distance sur des sensations, sur l'environnement... Ça permet d'avoir un meilleur contrôle (via le lâcher prise paradoxalement). L'hypnose peut arriver dans un second temps, pour adopter une stratégie de réparation, de reprogrammation, pour aller vers nos objectifs, développer nos capacités, trouver les ressources nécessaires pour atteindre cet objectif... L'hypnose pour l'hypnose n'a pas de sens, c'est toujours au service d'un objectif.



Un état modifié de conscience permet-il de mieux éliminer une croyance limitante ?


Oui, un changement de croyance va nécessiter de réaliser une expérience introspective sur soi et se confronter à ses croyances limitantes. Un outil très efficace au travail sur les croyances est le « recadrage » très utilisé. En PNL (Programmation Neuro Linguistique).


Par exemple, si un homme à la croyance limitante ancrée "Je suis bien trop timide pour plaire au sexe opposé", on peut lui proposer un changement de perspective. Une possibilité serait de lui faire prendre conscience que la timidité peut aussi plaire au sexe opposé puisque cela montre une certaine sensibilité, et donc un côté mystérieux... Parmi toutes les formes de recadrages possibles, changer le sens ou le contexte d’une croyance peut provoquer un un changement de la perception de cette croyance. Ce processus va permettre de déstabiliser la croyance limitante et d’en installer une nouvelle plus ressourçante !


En hypnose on utilise les états modifiés de conscience pour travailler en particulier sur les conditionnements. On essaye de recâbler des émotions, en allant chercher dans le passé des expériences positives et à les utiliser pour neutraliser une expérience négative : "Quand t'es-tu senti courageux ? Et qu'as-tu alors ressenti ? Comment ça s'est fait ?". À partir de quoi on modélise, on développe des formes métaphoriques, on utilise des sous-modalités et on invite la personne à revivre ce courage via son souvenir, ce qui crée un état modifié de conscience. En l'amenant à ressentir les choses, on n'est plus du tout dans l'analytique, mais on l'amène à l'intérieur d'elle-même. Un souvenir vivace induit un certain état modifié de conscience. Il faudrait en fait classer les différents états cognitifs d'une personne pour représenter tout l'éventail des états modifiés de conscience.


Quand tu es en hypnose, tu es guidé pour revivre une expérience subjective... Le thérapeute t'incite à aller piocher dans une émotion positive que tu as déjà vécue, et à l'amener dans ton contexte actuel, pour en faire un tremplin pour ta problématique actuelle. Parce que tu as déjà ta ressource en toi ! Le plus difficile est d'identifier le "programme négatif". L'état d'hypnose te permet d'accéder à des chemins qui sont parfois difficiles à trouver consciemment. Et c'est pourquoi on utilise le langage de l'inconscient. Pour défaire les croyances négatives, on peut utiliser des métaphores par exemple, qui s'adressent directement à notre inconscient.



Le subconscient (ou l’inconscient) dont parle l'hypnose a-t-il une valeur scientifique/neuroscientifique ?


Tout ce qu'on sait aujourd'hui, c'est que le cerveau ne peut pas consciemment tout traiter, il n'a que des structures cérébrales limitées qui permettent d'amener à la conscience certaines choses soigneusement sélectionnées. Et heureusement qu'on a des processus inconscients qui permettent de gagner du temps au quotidien ! Par exemple, quand tu fais un geste moteur, ton cerveau élabore des programmes pour anticiper tous les potentiels, probables gestes moteurs. Par exemple, si tu as une tasse de thé à ta droite, ton programme moteur est déjà pré-programmé pour aller la saisir, tu n'as pas à re réfléchir à chaque fois que tu souhaites la saisir, et c'est en cela que notre inconscient nous permet de gagner un temps fou.


Le cerveau est une véritable usine à prédictions, il prend des milliers de décisions "à notre insu" (de façon automatique et non consciente) tout le temps ! On s'en rend pas compte, mais c'est ce qui nous sauve la vie.


Et pour être capable de prendre ces décisions, et donc d'être efficace, le cerveau trouve toujours des raisons à tout ! Il a horreur de ne pas savoir, il lui faut une explication et une solution.


C'est ainsi que le cerveau va mettre en place des stratégies pour "savoir". Il va notamment faire ce qu'on appelle des généralisations, il généralise à partir d'une expérience, il omet de tenir compte de certaines choses en fonction de ses croyances, pour créer de la conformité, il va également faire de la distorsion, il peut recréer des souvenirs... Bien sûr, tout cela implique les croyances.


Ces généralisations se font pour notre "bien", elles nous permettent d'avoir un fonctionnement efficace dans notre environnement. de gagner du temps, notamment sur l'environnement tu vas avoir plein de perceptions auditives, visuelles etc. mais tu n'as qu'un temps court pour les utiliser, c'est ce qu'on appelle la Mémoire de travail. Pendant un certain temps tu vas pouvoir utiliser ces infos mais si tu les utilises pas elles vont disparaitre, elles sont à ta disposition pendant un laps de temps. Pour moi les processus inconscients se font en bruits de fond en continu, et qui vont te permettre d'être plus efficace, d'avoir un fonctionnement efficace dans ton environnement.


Donc l'inconscient, ce sont tous ces processus automatiques intégrés et même génétiquement ancrés qui sont d'abord là pour nous sauver la vie et perpétuer notre espèce. Tels que la motivation qui est là pour qu'on ne se laisse jamais mourir de faim, ou l'attrait à la nouveauté qui est là pour l'adaptabilité (ex : pour aller mélanger nos gènes avec des ethnies différentes)... Mais l'inconscient nous permet aussi d’automatiser des apprentissages préalablement appris consciemment, créant ainsi des habitudes. Cela nous évite de recommencer à zéro à chaque fois que l'on mène une action... C'est une compétence qui par exemple nous permet de lire sans réapprendre l'alphabet à chaque fois.


Le cerveau est vraiment une usine à réponses automatiques, qui utilise les processus de prédictions grâce à toutes les acquisitions emmagasinées au fil du temps, et stockées dans des "registres" inconscients.


Nous avons donc des programmes à disposition dans notre cerveau, et puis il y a les croyances qui sont là et qui sont des programmes qui vont mettre en avant des certitudes plutôt que d'autres. Exemple : "Il faut souffrir pour gagner de l'argent" qui amène à choisir un travail difficile et lieu de souffrance...



Le principe de répétition permet-il à lui seul de faire / défaire une croyance limitante ? Comme répéter des affirmations positives de façon complètement consciente quand on est en difficulté.


La répétition consciente aide, mais selon moi, cela arrive dans un second temps, une fois qu'on a fait un vrai travail sur la croyance limitante, et qu'on s'est aligné sur la nouvelle croyance positive (ce que l'on appelle "l'alignement des croyances").


Répéter de façon consciente des phrases comme des affirmations positives arrive dans un second temps, parce que si tu répètes à haute voix des mantras qui sont contraires à tes croyances inconscientes, tu ne peux pas réellement y adhérer. Il faut d'abord être profondément convaincu de ce que l'on dit, puis pourquoi pas le répéter en renforcement. En fait, tout dépend du niveau de profondeur de la croyance.


Comme je disais, le cerveau œuvre dans un souci d'efficacité. Dans la vie, le cerveau est sans cesse confronté à des situations difficiles ou positives, et il fait des généralisations, des distorsions et des omissions pour être plus "pratique". Il met ainsi en place une croyance pour classer toutes ces expériences dans des registres inconscients, et établir des stratégies de réponse efficaces...


Dans la croyance, il y a toujours une intention positive à l'origine, un intérêt qu'on appelle "écologique" - pour protéger d'un éventuel danger ou d'une éventuelle souffrance. Une croyance devient limitante lorsqu'elle bascule de l'autre côté, lorsqu'elle devient un frein. Il faut donc avant tout casser le processus automatique lié à cette croyance en recadrant : l'inconscient doit accepter que cette croyance était peut-être bénéfique autrefois, mais qu'aujourd'hui elle se montre néfaste dans le contexte actuel...


Prenons l'exemple d'une personne qui a l'habitude de hurler lors d'un conflit, parce qu'elle a la croyance que pour se faire respecter il faut taper du poing sur la table ! Et peut-être qu'effectivement à un moment de sa vie cette attitude a été utile dans un contexte X, mais peut-être qu'aujourd'hui cette attitude devient problématique notamment dans un contexte Y tel qu'une relation... Donc il est important de trouver une nouvelle stratégie, plus positive.


Et la simple répétition consciente d'une phrase telle que "Je suis zen" peut aider en renforcement, mais l'idéal est d'aller en amont travailler sur l'inconscient pour neutraliser la croyance "il est nécessaire de hurler pour se faire respecter", puis d'aligner le sujet sur une nouvelle croyance positive et écologique pour lui.



Pour en savoir plus :


Références

Ludwig, A. M. (1966). Altered states of consciousness. Archives of General Psychiatry, 15(3), 225–234.


David Rosenthal; Josh Weisberg (2008). "Higher-order theories of consciousness". Scholarpedia. 3 (5): 4407. doi:10.4249/scholarpedia.4407.


Dienes, Z., & Perner, J. (2007). Executive control without conscious awareness: The cold control theory of hypnosis. In G. A. Jamieson (Ed.), Hypnosis and conscious states: The cognitive neuroscience perspective (p. 293–314). Oxford University Press.


Landry M, Lifshitz M, Raz A. Brain correlates of hypnosis: A systematic review and meta-analytic exploration. Neurosci Biobehav Rev. 2017 Oct;81(Pt A):75-98.




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